ORCHESTRE PHILHARMONIQUE

DU LUXEMBOURG

SAISON 2000-2001

 

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Un entretien avec David Shallon

pour le Bulletin des Amis de l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg

 

 

Pour les uns, la nomination à la tête de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg de l’Israélien David Shallon a constitué une réelle surprise, pour d’autres qui savaient combien forte avait été l’impression laissée par le chef de l’Orchestre Symphonique de Jérusalem sur les musiciens de notre orchestre à son dernier passage, cette décision a été accueillie avec un très grand soulagement: Non seulement, l’incertitude sur la succession de Leopold Hager était terminée, mais surtout, la garantie était donnée que les musiciens auraient à faire avec un "maestro" qu’ils admirent et respectent et dont ils peuvent attendre une prise en main qui permet de bien augurer de l’avenir de l’OPL.

Pour en savoir un peu plus, nous avons pu nous entretenir avec David Shallon qui s’est révélé à la fois très franc, mais aussi très volontariste: Voilà un chef qui a des idées et des visions et qui a la force et la ténacité de les réaliser.

 

Guy Wagner: En ce qui vous concerne, Monsieur Shallon, on sait que vous avez étudié le violon, l’alto et le cor anglais. Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir chef d’orchestre?

David Shallon: La... folie! A quatorze ans déjà, j’ai commencé à étudier la direction d’orchestre avec mon premier maître, Noam Sheriff, un compositeur et chef d’orchestre israélien, mais évidemment, on est encore trop jeune! Diriger un orchestre à cet âge-là, est davantage un "gag" ou un effet publicitaire qu’une chose sérieuse.

Certes, à 10-11 ans, j’arrivais déjà à lire des partitions, et quand j’ai voulu alors étudier la direction d’orchestre, ce maître m’a dit: Halte, quitte à ce que tu connaisses déjà ton instrument, l’orchestre, il faut que tu saches que le travail sérieux commence seulement, et c’est ainsi que j’ai appris à connaître les instruments des différents pupitres, ensuite l’instrumentation, c’est-à-dire, la combinaison des couleurs sonores, et c’est ainsi que j’ai commencé à vivre et à écouter la musique autrement, différemment.

Maître Bernstein

Je suis alors parti à Vienne où j’ai été l’élève de Hans Swarowsky qui m’a donné encore pendant deux ans son immense enseignement, et parallèlement, je suis devenu l’assistant de Leonard Bernstein, ce qui signifiait que, – quand celui-ci avait un projet en Europe, normalement des concerts et des enregistrements pour la télévision, – j’ai eu un coup de téléphone me demandant si j’étais libre et si, dans ce cas-là, je pouvais venir chez Monsieur Bernstein, soit à Paris, soit à Munich, soit à Vienne même, car c’étaient là les trois orchestres avec lesquels il travaillait à cette époque en Europe: l’Orchestre National de France à Paris, l’Orchestre de la Radio Bavaroise et le Philharmonique de Vienne. Avec ces orchestres j’ai alors également fait des concerts, et il faut dire que de toutes les formations et impressions que j’ai eues, celle de Bernstein a été la plus prégnante, déjà par la personnalité de cet homme.

Pourquoi? Parce qu’il m’a fait comprendre que d’être franc et ouvert avec les musiciens avait des résultats beaucoup plus significatifs que la terreur qu’exercent certains chefs. Celle-ci peut, certes, avoir un effet immédiat, mais cet effet ne durera pas, il n’a aucun prolongement.

Ainsi, cet enseignement de Bernstein a été pour moi un enrichissement avant tout psychologique, et par ailleurs, ce qui impressionnait le plus chez cet homme, c’était son incroyable savoir, à vous faire pâlir d’envie...

Il connaissait Baudelaire par coeur, il avait une connaissance approfondie des différentes époques de l’Histoire. Ainsi, quand il a fait à Vienne le "Rosenkavalier", sa conception n’était, certes, pas du goût de tout le monde, mais le résultat était tellement cohérent et convaincant que les musiciens ont eu le plus grand respect pour sa vision à la fois musicale et contextuelle.

Un travail de longue haleine

Aussi, diriger un orchestre, est-ce pour moi une autre façon de faire de la musique de chambre, avec des gens avec lesquels on aime faire de la musique...

Un orchestre offre tout simplement un éventail plus grand de couleurs orchestrales qu’un seul instrument ou quelques instruments réunis en formation de chambre.

Néanmoins, pour moi, la musique de chambre est toujours ce qu’il y a de plus important en musique, et la musique symphonique est pour moi, un élargissement de la musique de chambre. Elle devient bonne et valable si elle est jouée comme de la musique de chambre, ce qui veut dire: un son n’est pas seulement donné par un instrument, parce qu’il est indiqué dans les notes, mais parce que l’interprète sait écouter, comprendre les relations et les transmettre.

Cela non plus n’est pas une affaire de cinq minutes, c’est un travail de longue haleine, et j’espère et suis même convaincu que beaucoup de musiciens de l’OPL pensent ainsi également. Toutefois, c’est dans cette direction qu’ira mon travail et c’est cette conception que je veux développer.

GW: Un élargissement pour ainsi dire en cercles concentriques.

DS: D’abord il y a un travail à chaque pupitre. Ainsi, par exemple les violons, comme tels, doivent "sonner" bien et avoir une homogénéité, ensuite en acquérir une avec les autres instruments à cordes, et enfin, avec tout l’orchestre…

Il s’agit effectivement de cercles sonores toujours grandissants, et plus ils grandissent, plus on devient individuellement et personnellement petit, et pourtant, dans ce tout, chacun est le plus important, car sans lui, rien ne peut fonctionner.

GW: Une chaîne est aussi forte que le plus faible de ses maillons.

Un grand potentiel

DS: Précisément! Et ce travail-là est un travail permanent, et je trouve que l’orchestre luxembourgeois a un potentiel de développement authentique qu’il faut seulement explorer et exploiter.

GW: D’où vous vient cette certitude?

DS: Parce que j’ai travaillé à plusieurs reprises avec l’orchestre, en dernier lieu quand j’ai dirigé du Chostakovitch. Cela a été vraiment un très beau concert, stimulant pour l’orchestre et pour moi, et la relation avec les musiciens était intense, même si je n’ai jamais pu m’imaginer ce qui allait en résulter.

Quand alors, les responsables m’ont contacté pour que je prenne la direction de l’OPL, je me suis vraiment beaucoup réjoui, quitte à demander un temps de réflexion.

GW: Pour quelles raisons ce temps de réflexion? Des raisons personnelles, d’engagement?

DS: En fait, on aurait aimé que je dise tout de suite oui, mais comme j’étais déjà bien pris pour les années à venir, j’aurais voulu commencer seulement pour la saison 1998-99. Cela aurait cependant créé un vide aux effets désastreux sur l’orchestre, car il est tellement facile de détruire quelque chose, mais d’autant plus difficile de le reconstruire.

GW: Vous deviez donc prendre d’autres dispositions?

DS: Pour la saison 1997-98, ce ne seront que huit semaines pendant lesquelles je pourrai être pleinement avec les musiciens, mais comme je vis en grande partie près de Francfort, le chemin vers Luxembourg ne sera pas trop long pour me retrouver même brièvement avec les responsables, pour faire des répétitions ou des raccords ou pour prendre des décisions dans l’intérêt de l’avenir de l’orchestre.

La saison 1998-99, je pourrai être ici pendant onze à douze semaines, et je veux faire plus ici, quitte à avoir moins de temps libre à ma disposition, je pense à douze et jusqu’à seize semaines par ans; seize semaines, cependant, sont pour moi un maximum, car sinon on risque une saturation, voire une sursaturation.

GW: Quelle est votre attitude par rapport à l’idée d’un premier chef invité?

DS: Je crois que c’est une bonne chance d’intensifier les relations entre un chef et un orchestre quand ils s’entendent très bien, et, disons, d’élargir cet échange jusqu’à quatre semaines par an, mais il faut veiller à ne pas prendre trop rapidement une décision pour ce "principal guest conductor", car on risque d’en découvrir un autre qui pourrait être encore plus idéal pour une pareille nomination. La même chose est d’ailleurs valable pour un chef permanent. Qui sait si prochainement on ne dira pas: "Pourquoi seulement avons-nous pris ce Shallon?"

La continuité dans le travail

GW: Dans le travail avec l’orchestre, qu’est-ce qui est le plus important pour vous?

DS: Ce sont la continuité et la permanence, le développement progressif, mais perpétuel, que beaucoup de musiciens dans l’orchestre, au début, ne remarqueront même pas, mais je suis convaincu, d’autre part, qu’une partie des musiciens trouvera cela énervant et n’aimera pas mon travail très méticuleux et, il faut le dire, dur et exigeant.

J’ai pourtant un bon sentiment pour l’avenir. J’ai longuement parlé avec les musiciens, nous avons été très francs entre nous, et j’ai pu constater dans les yeux de ces femmes et hommes qu’ils étaient prêts à s’investir dans un travail intense, précisément à ce moment-ci où nous pourrons tous ensemble, initier une nouvelle époque dans la vie de l’orchestre.

Qu’on ne s’attende pourtant pas à des miracles, à des réalisations révolutionnaires du jour au lendemain!

GW: Vous venez de le dire vous-même, c’est en grande partie un travail imperceptible qui va se faire.

DS: Oui, nous sommes à un point où l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg doit trouver, enfin, sa grandeur, pour ce qui concerne le nombre des musiciens effectifs, qui lui permette de fonctionner vraiment. Actuellement, les proportions ne collent pas du tout, peut-être chez les vents, mais avoir quatorze premiers violons et puis descendre à quatre contrebasses, c’est une mauvaise farce. De même, le fait de toujours devoir recourir à des auxiliaires conduit inévitablement à des situations problématiques où ni l’homogénéité, ni la qualité ne peuvent plus être assurées.

 

Une programmation réfléchie

GW: Pour ce qui est maintenant de la programmation, j’ai pu me rendre compte que votre répertoire est extrêmement vaste, mais que vous avez une prédilection pour la musique de notre siècle.

DS: Je suis d’accord avec le terme de "prédilection", mais c’est sans exclusive. Je suis pour une balance: On ne doit pas négliger la tradition, on ne doit cependant pas perdre de vue que d’ici trois ans, un siècle, voire un millénaire, touche à sa fin, et pendant ce siècle, la musique s’est développée plus rapidement que jamais auparavant, et à une même période les styles les plus divers ont pu se manifester.

Je crois qu’il est important de jeter un regard en arrière sur ce qu’a été ce siècle, mais je dois constater que, malheureusement, d’un côté, la saison prochaine est déjà programmée en grande partie, de sorte que je ne peux pas lui donner mon "cachet", et que de l’autre, quand en 1998-99, je peux m’engager davantage au Luxembourg, il ne me reste plus que deux ans pour donner un aperçu sur tout un siècle, sans, par ailleurs, négliger les Beethoven, Brahms, Mozart, Haydn, auxquels le public a également droit.

Toujours est-il que je m’efforcerai à établir une bonne balance entre le classique-romantique, les déjà-classiques de notre siècle vers lesquels va ma prédilection, et enfin, la musique d’aujourd’hui, avec, bien évidemment et bien naturellement, un accent mis sur la musique du Luxembourg.

GW: Qu’attendez-vous du public luxembourgeois?

DS: En premier lieu, la franchise, la sincérité. Je veux établir une relation de confiance avec ce public, je veux pouvoir lui faire confiance, et je voudrais qu’il me fasse lui aussi confiance, notamment pour ce qui concerne l’orientation des programmes que je veux lui présenter, en particulier, à partir de la période où je pourrai davantage m’impliquer ici. Je voudrais qu’il se rende compte que cette programmation n’est pas simplement didactique, mais qu’elle est totalement sincère et réfléchie, car je suis convaincu de l’importance de la relation entre le public, l’orchestre et son chef permanent. Si cette relation est construite ensemble, dans la confiance et le respect mutuels, alors l’OPL aura un grand avenir.

GW: Qu’est-ce que le public est en droit d’attendre de vous?

DS: Il serait bête de faire maintenant de grands mots et surtout de grandes promesses, voire de grands paris. Il serait stupide d’affirmer qu’après-demain nous serons les égaux des "Berliner Philharmoniker". Cela, je ne le fais pas, mais je ferai tout pour faire le meilleur de l’OPL, et plus celui-ci s’améliorera, plus nous serons tous ensemble satisfaits et heureux.

© Guy Wagner (1997)

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